Cher Sylvio.

Houspillé par la vente de votre désormais ex-club de football Neuchâtel-Xamax, je tiens ici et par ces modestes lignes, à vous signifier ma bienveillance dans la difficile période que vous traversez. Car en effet, quoi de plus dur pour un entrepreneur que de se séparer d’une société-boulet qui ne lui a causé qu’ennuis, pertes d’argent, mauvaise publicité et probablement provoqué de sérieux troubles digestifs agrémenté d’une inévitable augmentation de la pression artérielle.

Cela dit, force est de vous reconnaître une aisance certaine dans les transactions financières et en particulier dans celle qui nous intéresse, ceci en regard à votre habilité à récupérer auprès de vos « partenaires obligés » le nombre nécessaire d’actions assurant la majorité absolue, indispensables à la transaction susdite, et ce pour un malheureux franc symbolique par action. Là, bravo quel talent.

Car les gens le savent peu -et je le regrette- mais patron est un bien difficile métier. Comme disait Bernard Tapie; « C’est pas simple de diriger une entreprise, même chez les crève-la-dalle… ». J’en conviens, ce sacré Bernard avait une vision toute personnelle de la gestion de sociétés. Celles-ci sont d’autant plus compliquées à diriger lorsque le produit exploité consiste en un groupe d’humains faisant un sport d’équipe très populaire avec comme on le sait bien, un seul et souvent bien pauvre esprit.

Au moment de la reprise de Neuchâtel-Xamax il y a quelques années, j’imagine sans peine que vous, le spécialiste du batiment en béton, deviez probablement rêver de devenir le « Bernard Tapie» de Neuchâtel, succédant ainsi à un personnage autant âgé que respecté, mais usé par les folles aventures footballistiques d’une époque bien révolue.

Reconnaissez néamoins que le plus béotien des consultants d’entreprises vous aurait conseillé de ne pas mettre un seul franc dans ce panier de crabes rouge et noir. Mais probalement, et j’en suis sûr, désintéressé et n’écoutant que votre coeur ainsi que votre passion ma foi déraisonnée du ballon rond, vous avez tenté l’aventure en faisant l’acquisition de quelques précieuses actions Neuchâtel-Xamax SA, vous lancant ainsi à corps perdu dans l’aventure du foot neuchâtelois. Quel bravoure.

Car c’est à chaque interview d’un joueur de football et de ses réponses rocambolesques faites de phrases souvent sans verbe ou complément, que l’on mesure l’immense difficulté que doit représenter la direction d’un club de football. Voilà pourquoi aujourd’hui, les critiques à votre encontre me parraîssent quelque peu outrecuidantes. D’ailleurs, vous noterez au passage que je me garde bien de juger en quoi que ce soit votre gestion dudit club, et ceci pour la simple et bonne raison que je n’y connais mais alors absolument rien en la matière.

Car jamais -je dois bien le confesser- dans toute mon existence, je n’ai partagé le siège en plastique dur d’un stade au milieu de supporters avinés, chantant d’improblabes hymnes à la gloire de l’équipe adulée, hurlant ça et là d’amusantes insanités, renversant ou vomissant leur bière, insultant l’arbitre ou les cons d’en face, ou encore en distillant de pointues théories avec 2 grammes d’alcool par litre de sang sur la stratégie du dernier entraîneur pas encore viré. J’ouvre ici une parenthèse pour dire que lorsque j’étais enfant, un vaccin nommé Heysel m’avait été inoculé en direct par le biais d’un écran cathodique 4/3 en couleur, et qui m’empêche encore aujourd’hui d’aller hurler comme un atrophié du bulbe dans une tribune. Mais je m’égare et revenons-en à votre club cher Sylvio, car oui, la tempête fut rude durant ces quelques années où vous avez régné. Vous me pardonnerez j’en suis sûr de pas énumérer ici les moults et pathétiques allées et venues de joueurs, gardiens ou entraîneurs et les flots d’inepties distillées aux médias pour les expliquer, il paraît que le monde du foot est ainsi fait. Néanmoins, sous votre règne, un stade tout neuf, un magasin de farces et attrapes et encore quelques supporters ont fait (ou défait) le mythe de votre désormais ex-club. Quel parcours.

Malheureusement tout ceci n’a pas suffit à porter votre club au sommet. Les multiples entraîneurs, joueurs et autres bras cassés qui se sont succédés n’ont pas réussi à propulser votre club au but [1] que vous vous étiez fixé. C’est alors que vous cher Sylvio, le patron lassé, usé, au bord d’une bien compréhensible « nervous breakdown » à en juger vos réçentes attitudes face aux…. journalistes, avez finalement cédé vos actions à un homme d’affaire ma foi fort aisé dit-on.

Quel coup de maître. En plein désert vous avez trouvé LA dépanneuse[2]. L’homme providentiel. Un milliardaire tchétchène qui promet d’injecter, tel un pipeline pétrolier russe, des millions de francs en flot continu, arrosant par la même ce canton sclérosé par une malheureuse dette d’un milliard et des pistaches qui inquiète tant qui vous savez dont je ne citerai pas le nom par crainte de vous provoquer un psoriasis qui viendrait s’ajouter à votre probable ulcère actuel.

Cher Sylvio, tel votre fameux revers de la main repoussant les micros des journalistes, balayez ces agitateurs anti-sportifs, qui parlent des liens d’amitiés de ce nouveau patron avec le Président tchétchène Kadyrov, qui dit-on aurait sois-disant du mal à supporter des notions -sans grandes importances- comme la démocratie, la liberté, l’égalité, la libre entreprise, la critique et les vrais journalistes, je veux dire ceux qui prennent des risques.

Vous êtes un visionaire Sylvio, car La Tchétchénie, n’en déplaise à Amnesty International, c’est le nouvel Eldorado du football. Voilà une contrée d’à peine1,2 million d’habitants et qui compte 75% de chômage dans sa population active mais dont le club de football pèse 50 millions de francs. J’imagine sans mal vos yeux briller à la vision de ces chiffres. Kadyrov, le Président incontestable -sous peine de mort- de la Tchetechenskaïa Respoublika a même organisé un match amical dans lequel il n’a pas hésité à mouiller le maillot, avec de vieilles vedettes du foot ventripotentes et à la retraite comme Maradona ou encore ce pauvre Papin. Tous l’on trouvé « très gentil » et tellement « acceuillant » en lisant le chiffre de la somme qu’il venaient de gagner et regardant leurs belles montres toutes neuves en montant dans leur avion !

Et après le fabuleux match dans le stade tout neuf de Grozny, de mauvaises langues osent dire que les autorités locales ne se soucient pas du bien être de leur citoyens ? Vous en conviendrez cher Sylvio, une pareille mauvaise foi est à peine croyable.

Mais voilà, une fois de plus la presse réactionnaire critique l’évènement. Voyez-vous cher Sylvio, c’est un peu comme pour vous, pouvons-nous sérieusement reprocher un manque d’esprit critique envers un état totalitaire à ces joueurs qui en lieu et place d’études n’ont connu que le football ? A l’évidence non. Ils ne sont que de riches marionnettes dans un monde sans valeur.

Fort heureusement, les critiques ne sont pas bien nombreuses [3]et tout cela sera vite oublié. D’ailleurs, et j’en suis sûr, vous le saviez bien en cédant le « club » à cet homme d’affaire du Caucase, que les griefs n’émaneraient en tout cas pas du petit monde politique neuchâtelois car il en est, comme vous le savez, bien incapable.

Quant à vos petites phrases lâchées un peu maladroitement comme: [4] « Qu’esssssse j’en sais ? P’tèèètre qu’ça s’rrrait un bon ami l’Kadyrrrov! »[5] ou la désormais célèbre: « Ceux qui n’ont pas d’pognons z’ont qu’à ferrrmer leurrr gueule !» et bien rassurez-vous, elles resterons dans l’histoire à l’instar du coup de boule de Zidane en final de coupe du monde, à savoir l’expression maladroite d’un esprit simple dans une situation tendue.

Grâce à vous, Xamax et par là même Neuchâtel est entré dans une nouvelle ère: celle qui lui promet la perte de son innocence en voyant ses autorités devoir cotoyer l’impensable moralement. Las, force est de constater que le petit peuple n’a pas joué le jeu jusqu’à présent et les feux d’artifices offert par le nouveaux patron n’ont pas attiré les foules, quel dommage, de si beaux feux. Mais le tout Neuchâtel qui n’aurait râté ça pour rien au monde, a sauvé l’honneur lors de la réception très réussie, donnée par le nouveau patron du Xamax à l’occasion de son accession au trône. Ah merci Sylvio, car si vous n’aviez pas vendu Xamax au Tchétchène, nous n’aurions pas eu le l’indicible plaisir de voir l’espression plus qu’embarrasée d’une conseillère communale de la ville de Neuchâtel, attablée aux côté de la nouvelle direction caucasienne du Xamax, refusant toute interview, s’évitant habilement au passage un naufrage médiatique. Quelle belle image, presque tous nos conseillers nationaux, d’états, communaux, et autres personnages influents privés ou publics étaient là pour profiter du bon repas et des discours en tchétchène du nouveau boss qui ne pipe pas un mot de français, malgré sa présence à Genève depuis 20 ans. Le tout était agrémenté avec goûts par des clowns locaux comme Cuche et Barbezat qui ont dû oublier ce qui leur reste de dignité dans les WC publics de la maladière. Quelle belle fête.

Cette belle soirée précédait de quelques jours la finale de la coupe Suisse où Xamax a fait ce que l’on attendait de lui, c’est à dire se vautrer lamentablement devant un nombreux public. Alors le nouveau boss et son cigare ont mis un terme à la fête avec une certaine délicatesse, en mettant à la porte à peu près tout le monde, dont même ceux qui défendaient leur nouveau patron en menaçant de plaintes pénales quiconque tenterait de diffamer les intouchables. Il paraît que même les mouches ont peur de voler en ce moment à la Maladière.

A votre dernière apparition télévisée je vous ai trouvé une bien mauvaise mine. Alors cher Sylvio, profitez de vous refaire une santé dans votre grand retour à l’anonymat. Anonymat dont vous allez pouvoir mesurer les bienfaits, car il se dit par Neuchâtel -et réjouissez-vous en- que vous serez bien vite oublié.

Pour terminer cher Sylvio, et même si je ne le faisais pas avant, vous ne m’en voudrez pas si je n’assiste pas aux prochains matchs de votre désormais ex-club, j’ai d’autres obligations. Je ne lirai pas non plus la page des sports du Figaro -pardon de l’Express-, tant la suite des futures aventures du club Tchétchène m’indiffèrent. Néanmoins, je suis certain que les supporters et les courageuses autorités de la ville se réjouissent déjà des nouvelles personnalités qui composeront le carré VIP de la Maladière. Voyez-vous, l’avantage dans le foot, c’est qu’il importe peu qui dirige, il y aura toujours des supporters. Le foot est l’opium du peuple, les gouvernants le savent bien, même en Tchétchénie.

Avec certes un peu de détachement, recevez, cher Sylvio, l’assurance de ma bienveillante compassion.

Notes

[1] Si l’on peut dire!

[2] Dans le sens imagé du terme bien sûr

[3] Comme en Tchétchénie d’ailleurs

[4] lire avec un fort accent neuchâtelois

[5] Authentique